La Nouvelle Héloïse book. Erik Leborgne. Jamais mon incomparable amie ne fut si sublime ni si digne d’occuper seule tout mon cœur ; sa vertu, sa raison, son amitié, ses tendres caresses, semblaient l’avoir purifié ; je vous crus oublié, je me crus guérie. Tu comptes les maux de l’humanité ; tu ne rougis pas d’épuiser des lieux communs cent fois rebattus, et tu dis : « La vie est un mal. Ces passions sans retour qui font, dit-on, tant de malheureux, ne sons fondées que sur les sens : si quelques-unes pénètrent jusqu’à l’âme, c’est par des rapports faux dont on est bientôt détrompé. Je voulais vous rendre si doux votre état présent, que la crainte d’en changer augmentât votre retenue. Preuve que la nature répugne à l’une et à l’autre. Donnez-moi la vie ou la mort. En nous apprenant à penser, vous avez appris de nous à être sensible ; et, quoi qu’en dise votre philosophe anglais, cette éducation vaut bien l’autre ; si c’est la raison qui fait l’homme, c’est le sentiment qui le conduit. Si nous regardons à l’objet, l’un et l’autre est de nous délivrer du mal-être ; si nous regardons au moyen, l’un et l’autre est également naturel ; si nous regardons à la répugnance, il y en a également des deux côtés ; si nous regardons à la volonté du maître, quel mal veut-on combattre qu’il ne nous ait pas envoyé ? Songez, je vous supplie, que cette réserve ne saurait être innocente, qu’elle m’est chaque jour plus cruelle, et que, jusqu’à la réception de votre réponse, je n’aurai pas un instant de tranquillité. Quel droit avais-je de vous importuner de mes plaintes et de mon désespoir ! Ces longs combats furent mal soutenus ; un instant de faiblesse les égara ; ils s’oublièrent dans les plaisirs ; mais s’ils cessèrent d’être chastes, au moins ils étaient fidèles ; au moins le ciel et la nature autorisaient les nœuds qu’ils avaient formés ; au moins la vertu leur était toujours chère ; ils l’aimaient encore et la savaient encore honorer ; ils s’étaient moins corrompus qu’avilis. Epargnez-vous, Monsieur, des menaces vaines qui ne m’effraient point, et d’injustes reproches qui ne peuvent m’humilier. Dans le pays où je suis, de pareilles confidences sont sans aucun danger et ceux qui traitent si légèrement la foi conjugale ne sont pas gens à faire une si grande affaire des fautes qui précédèrent l’engagement. Hélas ! Quelle heureuse révolution me venait de montrer l’horreur du crime qui m’avait tentée, et réveillait en moi le goût de la sagesse ! C’est un des sophismes du Phédon, rempli d’ailleurs de vérités sublimes. je suis bien plus morte que toi ! Appliquer ainsi les maximes du christianisme, que c’est mal en saisir l’esprit ! Cet amour-propre exquis qui sait payer toutes les vertus pénibles mêlera son charme à celui de l’amour. Je faillis expirer de regret à ses pieds. Forcé de repartir, en m’éloignant de celle que j’aime, je compterai pour me consoler les pas qui doivent m’en rapprocher. Son cœur semble étouffé par l’affliction, et l’excès des sentiments qui l’oppressent lui donne un air de stupidité plus effrayante que des cris aigus. L’idée même de souiller le lit conjugal ne leur fait plus d’horreur… ils méditent des adultères ! Je l’embrassai pourtant avec un serrement de cœur qu’il partageait, et qui se fit sentir réciproquement par de muettes étreintes, plus éloquentes que les cris et les pleurs. C’est ce qu’il me semble avoir fait depuis que je m’occupe à rectifier mes sentiments et ma raison ; c’est ce que vous ferez mieux que moi quand vous voudrez suivre la même route. Je ne pouvais concevoir par quel prodige votre opiniâtre image m’avait pu laisser si longtemps en paix avec tant de sujets de me la rappeler ; je me serais défiée de l’indifférence et de l’oubli, comme d’un état trompeur qui m’était trop peu naturel pour être durable. Je favorisai vos feux tant qu’il leur restait un rayon d’espérance. Si les chrétiens en ont établi d’opposées, ils ne les ont tirées ni des principes de leur religion, ni de sa règle unique, qui est l’Ecriture, mais seulement des philosophes paiens. Aurais-je plus respecté les droits d’un amour éteint que je n’avais respecté ceux de la vertu, jouissant encore de tout leur empire ? Je souhaitai d’être délivrée de la vie. Ce n’est point cela du tout ; mais il fallait dire : « Si tu charges ton esclave d’un vêtement qui le gêne dans le service qu’il te doit, le puniras-tu d’avoir quitté cet habit pour mieux faire son service ? Son goût ne se bornait pas aux traits et à la figure ; c’était moi qu’il aimait et non pas mon visage ; c’était par tout notre être que nous étions unis l’un à l’autre ; et tant que Julie eût été la même, la beauté pouvait fuir l’amour fût toujours demeuré. Lettre III à madame d’Orbe, en lui envoyant la lettre précédente, Lettre X du Baron d’Etange dans laquelle était le précédent billet, Dernière modification le 22 février 2017, à 20:00, https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Julie_ou_la_Nouvelle_Héloïse/Troisième_partie&oldid=6603775, licence Creative Commons Attribution-partage dans les mêmes conditions. Elle se tient jour et nuit à genoux au chevet de sa mère, l’air morne, l’œil fixé à terre, gardant un profond silence, la servant avec plus d’attention et de vivacité que jamais, puis retombant à l’instant dans un état d’anéantissement qui la ferait prendre pour une autre personne. La cruelle perte de l’un des auteurs de mes jours m’a trop appris à craindre d’affliger l’autre. Tout ce qui lui vient de vous, fût-ce contre vous-même, ne lui peut être que mortel. parmi les devoirs que tu comptes, tu n’oublies que ceux d’homme et de citoyen. Toi, des Romains ! Même en supposant ce bizarre sentiment, qui n’aimerait mieux aigrir un moment la douleur présente par l’assurance de la voir finir, comme on scarifie une plaie pour la faire cicatriser ? Laissons tout cela, milord ; c’est à vous que je parle, et je vous demande quelle est ici-bas la principale occupation du sage, si ce n’est de se concentrer, pour ainsi dire, au fond de son âme, et de s’efforcer d’être mort durant sa vie. J’ai cru remarquer quelquefois qu’il m’observait durant ces entretiens ; mais il y a grande apparence que cette prétendue remarque n’est que le secret reproche d’une conscience alarmée. Que de regrets, que de larmes, que de touchantes caresses, quelle inépuisable sensibilité ! Puisse-t-elle retrouver près de vous ses premières vertus, son premier bonheur ! Mais que fait tout cela contre mon intérêt particulier, et lequel au fond m’importe le plus, de mon bonheur aux dépens du reste des hommes, ou du bonheur des autres aux dépens du mien ? Que ses touchants reproches vous eussent déchiré le cœur ! Il m’élevait, il m’égalait à vous, sa flamme me soutenait ; nos cœurs s’étaient confondus ; tous leurs sentiments nous étaient communs, et les miens partageaient la grandeur des vôtres. Passons. » Tu diras plus vrai sans mieux raisonner ; car rien n’aura changé que toi. Enfin quand ces raisons, toutes solides qu’elles sont, ne vous persuaderaient pas, ne fermez point l’oreille à la voix qui vous les expose. L’amour qui nous unissait eût fait le charme de notre vie. J’oubliais de vous parler de nos revenus et de leur administration. Elle ne sera point à moi ! Dieu n’a-t-il de pouvoir que sur mon corps ? Si tous ses désirs sont droits, il les suit sans contrainte ; il les suivrait de même s’ils ne l’étaient pas, car pourquoi se gênerait-il ? Dis-moi, Brutus mourut-il en amant désespéré, et Caton déchira-t-il ses entrailles pour sa maîtresse ? Je frémis quand je songe que des gens qui portaient l’adultère au fond de leur cœur osaient parler de vertu. Chère cousine, j’épargne à ton pauvre cœur le détail de cette attendrissante scène. Croyez-moi, vertueuse Julie, défiez-vous d’un zèle sans fruit et sans nécessité. Il est temps de devenir sage. Si je me console de vivre, c’est par l’espoir de n’avoir pas échappé tout entière à la mort. N’est-ce donc faire aucun mal, à votre avis, que d’anéantir ou troubler par un sang étranger cette union naturelle, et d’altérer dans son principe l’affection mutuelle qui doit lier entre eux tous les membres d’une famille ? Quel désespoir de l’avoir affligée ! Ote-moi ce dangereux souvenir, et je suis vertueux. Cette lettre adressée à Julie est un extrait du roman "Julie ou la Nouvelle Héloïse" en 1761, écrite par Jean-Jacques Rousseau. Que de maux vous causez à ceux qui vous aiment ! Insensée que j’étais ! Elle est telle qu’il m’est impossible de l’effacer de ma mémoire et de mes sens. qu’on a de peine à briser les nœuds qui lient nos cœurs à la terre, et qu’il est sage de la quitter aussitôt qu’ils sont rompus ! Comment pourrait-on vous aimer moins en vous estimant chaque jour davantage ? Oui, je promets de vivre loin d’elle aussi longtemps que vous l’exigerez ; je m’abstiendrai de la voir et de lui écrire, j’en jure par vos jours précieux, si nécessaires à la conservation des siens. Que savez-vous si votre vertu, qui vous a soutenue contre les attaques de votre cœur, vous soutiendrait encore contre des chagrins domestiques toujours renaissants ? si elle croyait bien sincèrement avoir abrégé les jours de sa mère, son cœur en pourrait-il supporter l’affreux remords ? Toutes ses habitudes étant rompues et toutes ses passions modifiées, dans ce bouleversement général, on reprend quelquefois son caractère primitif, et l’on devient comme un nouvel être sorti récemment des mains de la nature. Elle qui a si grand besoin de consolation consolerait volontiers sa fille, si la bienséance ne la retenait ; et je la vois trop près d’en devenir la confidente pour qu’elle ne me pardonne pas de l’avoir été. La maladie de Mme d’Etange est bien connue ; c’était une hydropisie de poitrine dont elle ne pouvait revenir, et l’on désespérait de sa vie avant même qu’elle eût découvert votre correspondance. Va, je le connais mieux que toi, ce cœur que le ciel a fait pour le mien. S’il te reste au fond du cœur le moindre sentiment de vertu, viens, que je t’apprenne à aimer la vie. Elle tenta plus d’une fois… Que sert de rappeler une espérance à jamais éteinte ! Tant qu’il nous est bon de vivre, nous le désirons fortement, et il n’y a que le sentiment des maux extrêmes qui puisse vaincre en nous ce désir ; car nous avons tous reçu de la nature une très grande horreur de la mort, et cette horreur déguise à nos yeux les misères de la condition humaine. Ah ! Je ne cesserai de demander au ciel, pour vous et pour moi, cette félicité pure, et ne serai contente qu’après l’avoir obtenue pour tous les deux. » Quand la faim, les maux, la misère, ennemis domestiques pires que les sauvages, permettraient à un malheureux estropié de consommer dans son lit le pain d’une famille qui peut à peine en gagner pour elle ; celui qui ne tient à rien, celui que le ciel réduit à vivre seul sur la terre, celui dont la malheureuse existence ne peut produire aucun bien, pourquoi n’aurait-il pas au moins le droit de quitter un séjour où ses plaintes sont importunes et ses maux sans utilité ? Concevez-vous qu’il y ait des gens assez injustes pour taxer la mort volontaire de rébellion contre la Providence, comme si l’on voulait se soustraire à ses lois ? Books › LGBTQ+ Books › Literature & Fiction Share